samedi 19 décembre – 20h Salle des concerts On the Corner Dave Liebman, saxophones et direction John Abercrombie, guitare Andy Emler, claviers Badal Roy, tablas et percussions Linley Marthe, basse électrique Éric Échampard, batterie
Fin du concert vers 21h45.
Claude Carrière, producteur de radio et Président d’honneur de l’Académie du Jazz, remettra ce soir les insignes d’Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Dave Liebman. Vous êtes cordialement invités à assister à cette cérémonie qui se déroulera directement après le concert sur la scène de la Cité de la musique. Ce concert est diffusé en direct sur les sites Internet www.citedelamusique.fr, www.sallepleyel.fr et www.arteliveweb.com. Il y restera disponible gratuitement pendant deux mois. Fun, avec un K Mars 1972. Cela fait plusieurs mois que Miles Davis est en panne d’idées. L’année 1970 l’avait vu sur-actif : Bitches Brew, album fondateur du jazz-rock ; des séances pour Big Fun, pour Live-Evil ; le concert du Filmore East à New York en mars ; celui du Filmore West de San Francisco le mois suivant ; le retour au Filmore East en juin ; la leçon de musique du festival de l’Île de Wight... autant d’expériences propulsant la liberté expérimentée dans la seconde moitié des sixties sur les rivages d’une sauvagerie électrisée. 1971, diète : un seul enregistrement, Jack Johnson. Miles se laisse envahir par la question du « Que faire ? ». On n’est pas impunément un éternel négociateur de virages sur les chapeaux de roues. Déjà vingt-cinq ans d’indiscipline quotidienne, en ce qui le concerne... Il rage d’avoir disparu des Grammies, l’année précédente. Son explication : l’industrie est aux mains du pouvoir blanc. C’est dans l’énergie des poings serrés qu’il va puiser le sens de sa nouvelle étape. Un virage où l’esthétique et l’idéologie sont indissociables. Pour déborder le pouvoir économique par la jeunesse du public, cap sur la célébration de la musique afro-américaine la plus populaire du moment, le funk. Noir et... chauffé à blanc. Miles engage le batteur de Funkadelic et Parliament. Pas pour longtemps : le trompettiste doit se faire opérer de calculs et suspend ses concerts. Mais un déclic s’est produit. Il a la conviction de pouvoir avancer sur une énorme pâte rythmique. En mai, il retrouve Paul Buckmaster, un violoncelliste britannique connu trois ans plus tôt. Par son entremise, Miles plonge dans Stockhausen, écoutant en boucle Gruppen et Mixtur. Une luxuriante fusion de sons électroniques et d’instruments acoustiques. Le 1er juin, Miles « convoque » en studio claviers, guitare et basse électriques, batterie, percussions – plus un « couple indien » sitar et tablas – pour explorer des « scénarios » préparés par Paul Buckmaster. La fièvre s’empare du studio, les bouts de papier se dissolvent sous les coulées de funk qui s’échappent notamment de la basse de Michael Henderson. Il manque un saxophoniste. Miles appelle Dave Liebman, l’enjoignant de quitter la salle d’attente du médecin où il patiente pour rappliquer dare-dare. Liebman pousse la porte du studio et se trouve propulsé devant le micro avec pour seule consigne « mi bémol », n’entendant qu’un gratouillis des claviers, guitare et basse dont le son amplifié ne parvient qu’en cabine. Magie de l’aléatoire, de l’urgence, de la nécessité, du désir : On the Corner sera un chef-d’œuvre splendidement imparfait, une série de points d’exclamation en suspension. Dave Liebman et Badal Roy étaient là. John Abercrombie a été marqué au fer rouge par la guitare du John McLaughlin d’alors. Lorsqu’à son tour il a eu à compléter le casting pour ce « je me souviens » de On the Corner, le saxophoniste a choisi Andy Emler, Linley Marthe et Éric Échampard. Parce que comme c’était le cas pour les musiciens de l’album de Miles, ils viennent d’une « autre » culture, qu’ils obligent à se poser d’autres questions et à trouver d’autres réponses. Ne jamais regarder en arrière disait Miles. Message reçu. Alex Dutilh